Stendhal

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Le bonheur donc, c'est une occasion privilégiée, que les âmes énergiques savent saisir : "Il se sentait entraîné, il ne raisonnait plus, il était au comble du bonheur. Ce fut un de ces instants rapides que le hasard accorde quelquefois comme compensation de tant de maux aux âmes faites pour sentir avec énergie. La vie se presse dans les coeurs, l'amour fait oublier tout ce qui n'est pas divin comme lui, et l'on vit plus en quelques instants que pendant de longues périodes."

La passion chez Stendhal n'a pas seulement une valeur intrinsèque. Les âmes de qualité attendent davantage qu'une existence plate ou une ambition ordinaire. Lorsqu'elles découvrent l'amour c'est l'illumination soudaine, l'écroulement des décors de ce théâtre d'ombres, l'apparition de la vraie vie.

C'est un trait commun aux personnages stendhaliens issus de la haute société qu'ils ne se satisfont pas de leur condition. L'orgueilleuse Mathilde de La Mole est apparemment comblée par le sort : "Que pouvait-elle désirer ? La fortune, la haute naissance, l'esprit, la beauté à ce qu'on disait, et à ce qu'elle croyait, tout avait été accumulé sur elle par les mains du hasard." Pourtant les brillants cavaliers "parfaits, trop parfaits" qui lui font la cour l'ennuient : "Elle abhorrait le manque de caractère, c'était sa seule objection contre les beaux jeunes gens qui l'entouraient. Plus ils plaisantaient avec grâce tout ce qui s'écarte de la mode, ou la suit mal croyant la suivre, plus ils se perdaient à ses yeux." Ce qui l'attire - et l'irrite - chez Julien c'est qu'il ne ressemble pas aux autres, et qu'il a précisément du caractère : "Celui-là n'est pas né à genoux, pensa-t-elle."

C'est toujours en effet à la société et à ses tabous que vient se heurter la passion stendhalienne même quand elle est partagée.

C'est dans la solitude de sa prison alors qu'il a été condamné à mort et dans l'attente de son exécution que Julien Sorel rencontre le bonheur et l'amour : "A aucune époque de sa vie Julien n'avait trouvé un moment pareil . Jamais il n'avait été aussi fou d'amour." Il vit dans l'instant, "sans presque songer à l'avenir", le temps pour lui est arrêté. "Par un étrange effet de cette passion, quand elle est extrême et sans feinte aucune, Mme de Renal partageait presque son insouciance et sa douce gaieté." Nous retrouvons là cette aptitude à jouir du moment de bonheur, malgré le tragique de la situation et pour une part à cause de lui, qui est un trait du héros stendhalien. Dans les Cenci, quand Béatrix finit par avouer, sous la torture, sa culpabilité dans le meurtre de son père, tous les prisonniers membres de la conjuration bénéficient avant l'exécution d'un régime de faveur ! "Aussitôt on ôta les chaînes à tous et parce qu'il y avait cinq mois qu'elle n'avait vu ses frères, elle voulut dîner avec eux et ils passèrent tous quatre une journée fort gaie."

Mais c'est dans La Chartreuse de Parme que ce thème du bonheur dans la solitude apparaît dans tout son éclat, avec les étranges amours de Clélia et de Fabrice.

C'est dans sa prison que Fabrice étrangement va lui aussi trouver le bonheur. Dès son arrivée dans la citadelle il est "ému et ravi par le spectacle" qu'il voit de sa fenêtre grillagée : "Par une bizarrerie à laquelle il ne réfléchissait point, une secrète joie régnait au fond de son âme . Au lieu d'apercevoir à chaque pas des désagréments et des motifs d'aigreur, notre héros se laissait charmer par les douceurs de sa prison." La raison de cette joie secrète est facile à déceler, c'est qu'il a conscience de la présence de Clélia, tout près de lui dans la citadelle, Clélia qu'il espère apercevoir. Lui qui avant de la rencontrer est amoureux de l'amour mais qui se contente de collectionner les maîtresses sans s'attacher vraiment à aucune ("Pour lui une femme jeune et jolie était toujours l'égale d'une autre femme jeune et jolie, seulement la dernière connue lui semblait la plus piquante"), lui pour qui une des dames les plus admirées de Naples a fait des folies "ce qui d'abord l'avait amusé et avait fini par l'excéder d'ennui", le voici qui soudain découvre une puissante raison de vivre. Et c'est dans une prison. Le symbole est évident : c'est la société qui est l'accusée. Au faîte de la tour Farnèse, Fabrice rêve, il admire la beauté de l'immense horizon, de Trévise au mont Viso, les pics alpins couverts de neige, les étoiles, et s'arrête à cette conclusion : "On est ici à mille lieues au-dessus des petitesses et des méchancetés qui nous occupent là-bas."

Реферат опубликован: 11/04/2007