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L'horreur du "vague" chez Stendhal nous vaut une analyse singulièrement précise de la monarchie de Juillet. Lucien Leuwen est une des plus violentes critiques, faite par un romancier, de la société dominée par l'argent.
Il s'agit d'une société déterminée, dominée par l'aristocratie financière à une époque elle-même déterminée, celle de Louis-Philippe et de l'hégémonie de cette fraction de la bourgeoisie française dont parle Marx.
Laffitte c'est le banquier Leuwen, père du héros.
Il est admirable que Stendhal, dans un roman, ait été amené à décrire avec autant d'exactitude la nature et les moyens du pouvoir : à la tête de l'Etat, la Banque, "cette nouvelle noblesse gagnée en écrasant ou en escamotant la révolution de Juillet". La Banque qui a mis sur le trône celui que le romancier appelle non pas Robert Macaire, comme Karl Marx, mais ce qui revient au même dans son langage codé "le plus fripon des kings".
Les ministres qui acceptent de protéger le fils d'un banquier parce qu'ils spéculent à la Bourse, et qu'un "ministère ne peut défaire la Bourse mais [que] la Bourse peut défaire un ministère". Les préfets qui fabriquent les élections sans gloire - facilitées par le régime censitaire - malgré une distribution judicieuse des pots-de-vin, des débits de tabac et des années de prison. La police -ou plutôt les polices - dont le souci "est de veiller à ce que trop d'intimité ne s'établisse entre les soldats et les citoyens" et qui de temps en temps fait assassiner un soldat par des provocateurs vêtus en ouvriers (l'incident Kortis qui met en scène un agent du pouvoir blessé par une sentinelle qu'il voulait désarmer est historique). La religion que le gouvernement des banquiers libres-penseurs autant que celui de la Restauration bien-pensante révère, parce qu'elle est "le plus ferme appui du gouvernement despotique". L'armée dont la fonction n'est pas de défendre la patrie mais de "sabrer les tisserands et pour qui l'expédition de la rue Transnonain est la bataille de Marengo".
Il ne s'agit même plus d'un coup de pistolet au milieu d'un concert mais d'un concert de coups de pistolet, d'un feu roulant de mousqueterie sur la monarchie de Juillet, ses bailleurs de fonds, ses courtisans et ses policiers.
Alors que va devenir le héros stendhalien dans ce bourbier ? Comment va-t-il s'y prendre pour aller à la chasse au bonheur ?
Prenons l'exemple de Lucien Leuwen.
Comme l'a noté Jean Prévost, il est né d'un rêve de compensation. Contrairement à Henri Beyle, il a un père riche qui l'aime, le comprend et le soutient. Sa mère est vivante, et l'entoure de sa tendresse. Il est beau, élégant, envié. Les grands de ce monde lui manifestent la considération due à la richesse de son père. Enfin et surtout, il est aimé de Mathilde, ou plutôt de Bathilde, puisque c'est le prénom de Mme de Chasteller, incarnation littéraire du grand amour de Stendhal.
Dès le départ, donc, toutes les conditions paraissent réunies pour que Lucien ait une vie brillante et heureuse. Mais un lourd handicap pèse sur lui. Atteint de la "maladie du trop raisonner", la société telle qu'il la voit n'arrive pas à l'enthousiasmer.
Реферат опубликован: 11/04/2007