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Voici maintenant Julien Sorel, alors qu'il est dans l'antichambre de la mort et qu'il connaît enfin, nous l'avons vu, le bonheur et l'amour. Quand il entre dans la salle où on va le juger, ce qui le frappe c'est "l'élégance de l'architecture". Et le jour de son exécution "marcher au grand air fut pour lui une sensation délicieuse. "Jamais cette tête n'avait été aussi poétique, nous dit Stendhal, qu'au moment où elle allait tomber. Les plus doux moments qu'il avait trouvés jadis dans les bois de Vergy revenaient en foule à sa pensée et avec une extrême énergie. Tout se passa simplement, convenablement et de sa part sans aucune affectation."
Tout se passa simplement. Sauf pour Mathilde (merveilleuse Mathilde aussi) qui suivit Julien jusqu'au tombeau qu'il s'était choisi, une petite grotte de la grande montagne dominant Verrières - on voit le symbole - et "à l'insu de tous, seule sa voiture drapée porta sur ses genoux la tête de l'homme qu'elle avait tant aimé". Tout se passa simplement pour Mme de Rénal qui fut fidèle à la promesse qu'elle avait faite : "Elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa vie. Mais trois jours après Julien, elle mourut en embrassant ses enfants."
Il faut un très grand talent à Stendhal pour faire de dénouement sanglant - par une étrange alchimie qui transforme la souffrance en joie, l'amertume en douceur - un poème à la gloire de ses héros, une espèce de tragédie optimiste où l'on oublie la mort pour ne retenir que leur noblesse retrouvée. Tels qu'en eux-mêmes enfin .
Mais c'est peut-être dans La Chartreuse de Parme que le romancier porte à un point de perfection cette euthanasie littéraire. Clélia "ne survécut que de quelques mois à ce fils si chéri mais elle eut la douceur de mourir dans les bras de son ami". Trop amoureux et trop croyant pour avoir recours au suicide, car il espère "retrouver Clélia dans un meilleur monde", Fabrice se retire à la chartreuse de Parme mais n'y passe qu'une année. Gina, devenue comtesse Mosca, réunit toutes les apparences de bonheur mais de survit que fort peu de temps à Fabrice. Et c'est la conclusion fameuse du roman : "Les prisons de Parme étaient vides, le comte immensément riche, Ernest V adoré de ses sujets qui comparaient son gouvernement à celui du prince Eugène."
Tout continue. La mort engendre la vie. Peut-être le monde marche-t-il vers plus de bonheur. La tragédie se termine comme une histoire de fées douce-amère, à mi-chemin de la nostalgie et de l'ironie. Voilà comment sans être dupe, le romancier sublime la réalité et perpétue par un chef-d'oeuvre la destinée de ses héros.
En supprimant ainsi de sa création la mort dans ce qu'elle a d'horrible à ses yeux, Stendhal supprime du même coup une autre ennemie : la vieillesse. Julien, Fabrice, Octave, Clélia, Mme de Rénal meurent à la fleur de l'âge, dans tout l'éclat de leur jeunesse et de leur beauté, quand leur amour est à son zénith. Ils ne connaîtront ni l'usure de la passion ni le naufrage de la vieillesse. Une vieillesse qui au début du XIXe siècle commence à cinquante ans et même avant pour les femmes : il suffit, pour s'en convaincre, de relire par exemple La Femme de trente ans de Balzac.
Реферат опубликован: 11/04/2007