Stendhal

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Dans les circonstances les plus tragiques, ils échappent au désespoir par leur curiosité de la vie, la violence de leur passion, leur amour du beau et cette aptitude au bonheur qui est une forme de l'énergie vitale mais qui a naturellement pour revers une égale vulnérabilité à la souffrance. Ainsi chez Stendhal même la souffrance est-elle tonique. Elle est un moment de la vie, mais non pas sa condamnation. Elle est souvent en amour la rançon inévitable du bonheur.

André Gide remarquait qu'il ne suffit pas de bons sentiments pour faire de la bonne littérature. En quoi, s'il avait en vue la littérature édifiante, il avait parfaitement et totalement raison. Stendhal semble pourtant lui donner tort car ses héros sont habités par les bons sentiments.

A condition de s'entendre sur la signification du mot et de n'avoir pas peur de ceux par qui le scandale arrive, les critères stendhaliens risquant en effet de choquer quelque peu les amateurs de vertus ordinaires. comme nous en prévient ironiquement l'auteur, dans l'avertissement de La Chartreuse de Parme : "J'avouerai que j'ai la hardiesse de laisser aux personnages les aspérités de leurs caractères; mais en revanche, je le déclare hautement, je déverse le blâme le plus moral sur beaucoup de leurs actions . Cette histoire n'est rien moins que morale et maintenant que vous vous piquez de pureté évangélique en France, elle peut vous procurer le renom d'assassin."

Souvenons-nous. Par amour d'une belle duchesse et de la République, un poète carbonaro tue le prince de Parme. Un plébéien révolté abandonne sa femme et blesse sa maîtresse à coups de revolver. Un Premier ministre conspire contre son roi pour plaire à celle qu'il aime. Un jeune prêtre simoniaque commet le péché de chair avec une marquise mal mariée. Une patricienne romaine devient meurtrière de son père qui a abusé d'elle. Sans faillir apparemment à l'honneur, le fils d'un banquier exécute les basses besognes d'un ministre de Louis-Philippe. Pour ne rien dire de la duchesse de La Chartreuse, un peu incestueuse, et de l'abbesse de Castro un tout petit peu enceinte.

On pourrait croire qu'il s'agit des vagabondages d'une imagination dépravée si le romancier n'avait pas emprunté ses sujets à la Chronique historique ou à la Gazette des tribunaux. Quoi qu'il en soit, il y a là, reconnaissons-le, de quoi soulever d'une juste indignation les prêtres de la morale traditionnelle.

Pourtant nous sommes à l'opposé du roman noir.

En fait, ces personnages apparemment scandaleux sont des femmes et des hommes d'honneur et la bassesse leur est étrangère. Ils ont l'hypocrisie en horreur et sont prêts à sacrifier intérêt, fortune, ambition à l'amitié, à l'amour ou même à une certaine idée qu'ils se font d'eux-mêmes.

A la fin du Rouge et Noir, quand son confesseur vient demander au héros de se convertir avec éclat, car ce serait un moyen sûr d'obtenir sa grâce, il s'attire cette fière réponse du condamné à mort qui ne veut pas devoir son salut au mensonge : "Et que me restera-t-il, répondit froidement Julien, si je me méprise moi-même ? . Je me ferais fort malheureux si je me livrais à quelque lâcheté."

A Sainte-Beuve, qui estimait que La Chartreuse était un livre immoral, on opposera le jugement de ceux qui avec plus de raison croient distinguer dans l'oeuvre stendhalienne une ligne de partage très nette entre le bien et le mal, les héros se situant du côté de la vertu, même s'il s'agit, je l'ai déjà noté, d'une vertu singulière et scandaleuse. Se foutre complètement de tout, excepté de sa propre estime. Cette exigence souvent exprimée par l'auteur est perceptible chez tous ses héros, pour peu qu'on gratte au-delà de l'épiderme. C'est ainsi que le philosophe Alain remarque: "Comme si dans les trois fameux romans, et partout, le bien et le mal n'étaient pas séparés comme le ciel et l'enfer, et comme si Julien Sorel n'était pas au ciel, au lieu que l'hypocrite Tambeau est l'enfer même !"

Реферат опубликован: 11/04/2007