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S'il a une tendresse particulière pour Milan, tenue par lui comme "le plus beau lieu de la terre" au point qu'il inscrit sur son épitaphe : "Henri Beyle, Milanese", c'est tout simplement parce que c'est la ville de sa jeunesse et de ses amours, parce qu'il y a été heureux avec Angela et malheureux à cause de Mathilde. Malheureux mais amoureux, et l'important ce n'est pas d'être aimé mais d'aimer.
Mais l'énergie à la manière stendhalienne, ce n'est pas celle du préfet de police, c'est d'abord et surtout la passion amoureuse, un risque absolu, une folie merveilleuse devant qui tout s'abolit, un don total de soi, un élan de l'âme vers le bonheur, rigoureusement indépendant de la fortune, de l'ambition et des normes ordinaires de la réussite.
Voyons ce que son amour pour Julien Sorel a fait par exemple de Mme de Renal, femme douce, pieuse, apparemment effacée et soumise, d'un médiocre notable de province. Alors que l'homme qu'elle aime a tenté de la tuer, elle va le voir dans sa prison au mépris des convenances sociales, prête à tout sacrifier par la menace de la mort prochaine. "Dès que je te voie, dit-elle à Julien, tous les devoirs disparaissent, je ne suis plus qu'amour pour toi . En vérité je ne sais pas ce que tu m'inspires . Tu me dirais de donner un coup de couteau au geôlier, que le crime serait commis avant que j'y eusse songé."
Et Julien, de son côté, s'aperçoit dans sa prison que l'ambition est morte dans son coeur, qu'il est "éperdument amoureux" de Mme de Renal ("Sache que je t'ai toujours aimée, que je n'ai aimé que toi") et qu'"à aucun moment de sa vie [il] n'avait trouvé un moment pareil". C'est là un trait caractéristique de l'oeuvre stendhalienne : la découverte du bonheur dans le paroxysme de la passion.
Il ne s'agit pas d'un état dans lequel on s'installe, mais d'un moment où la brièveté est compensée par la qualité et l'extraordinaire intensité de la joie que l'on éprouve. Peu importe après cela de connaître la souffrance ou même la mort. Rien ne peut abolir ces instants de bonheur parfait que l'on ne saurait payer trop chèrement : "C'est peu de chose à mes yeux, dit Mme de Rénal, que de payer de la vie les jours heureux que je viens de passer dans tes bras."
Même quand cette femme sincèrement croyante est persuadée que la maladie de son fils, qu'elle adore, est une vengeance du ciel pour ses péchés, elle ne peut que persister dans son amour : "Je suis damnée irrémédiablement damnée . Mais au fond je ne me repens point. Je commettrais de nouveau ma faute si elle était à commettre."
Ce thème de l'instant exquis revient constamment dans l'oeuvre de Stendhal. Par exemple dans Lucien Leuwen : "Jamais il n'avait rencontré de sensation qui approchât le moins du monde de celle qui l'agitait. C'est pour ces rares moments qu'il vaut la peine de vivre."
Lui-même raconte dans La Vie d'Henri Brulard comment il connut un jour à dix-sept ans une approche voisine du "bonheur parfait" à la seule vue d'un paysage : "Je voyais ce beau lac s'étendre sous mes yeux, le son de la cloche était une ravissante musique qui accompagnait mes idées et leur donnait une physionomie sublime . Pour un tel moment il vaut la peine d'avoir vécu."
Реферат опубликован: 11/04/2007