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On comprend que Stendhal qui met Shakespeare au-desus de tout, nourrisse une tendresse particulière pour Roméo et Juliette : cette histoire d'amour fou atteint un point de perfection dans la mesure précisément où les héros sont frappés en pleine jeunesse, au paroxysme d'une passion qui, par suite de leur diaparition même, restera intacte éternellement, miraculeusement préservée des injures du temps. C'est l'amour et la mort qui vont ici de conserve.
Permettez-moi, et ce sera ma conclusion, d'essayer de dire l'impression que me donnent les romans de Stendhal.
Eh bien ! malgré l'hécatombe du dernier acte, on ne ressent pas, à la lecture de ses romans, un sentiment d'abattement ou de désespoir. C'est encore une singularité de cet écrivain singulier.
Et pourtant !
Les personnages de Stendhal, je l'ai déjà souligné, meurent en pleine jeunesse et souvent de mort violente. Julien sur l'échafaud, Fabrice dans une chartreuse, Lamiel en prison, Octave de sa propre main au lendemain de sa nuit de noces et, dans Les Chroniques italiennes, suivant la réflexion de l'auteur, "le héros finit ordinairement par être décapité".
Leurs amours sont presque toujours malheureuses ou se heurtent à des obstacles meurtriers. Julien est exécuté pour avoir tiré à coups de revolver sur celle qu'il aime, Clélia est contrainte par les conventions sociales d'épouser un homme qu'elle n'aime pas. Follement amoureux et follement aimé Octave est impuissant à consommer son mariage. Lamiel la révoltée trouve la mort dans un incendie avec le compagnon d'aventure qu'elle s'est choisi, bandit de grand chemin. Dans Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme, comme dans Les Chroniques italiennes, la prison et cet autre espace clos qu'est le couvent jouent un rôle essentiel.
Voilà bien une étrange prédilection, dira-t-on, chez un écrivain, qui affiche son goût pour la chasse au bonheur.
Même s'il choisit comme héros des êtres d'exception dans des situations elles-mêmes exceptionnelles - il n'est pas donné à tout le monde heureusement de finir sur l'échafaud -, la vie est suffisamment tissée de drames quotidiens pour justifier sa démarche. D'autant plus que, quelque belle que soit la comédie le dernier acte est toujours sanglant, comme le note Pascal. Il n'y a donc pas chez Stendhal un parti pris de noircir la vie mais la volonté d'en montrer le caractère dramatique en partant de faits réels.
C'est là qu'intervient ce que l'on pourrait appeler la grâce de l'alchimie stendhalienne, la tragédie reste optimiste à cause sans doute de ce qu'elle recèle de confiance en l'homme.
On regrette la mort de ces héros rêveurs, tendres et violents, mais on est heureux de les avoir connus. Les prudents ont duré, les passionnés ont vécu, remarquait un moraliste du XVIIIe siècle. Julien, Fabrice, Lucien, chacun dans son registre particulier, ont eu une vie brève mais pleine, ardente, généreuse et, au-delà des différences de situation, ils ont en commun de pouvoir se dire au moment du bilan qu'ils n'ont pas à avoir honte d'eux-mêmes. Si on s'en tient aux normes de la réussite banale, ils ont connu l'échec - Julien ne sera qu'un instant comte de la Vernaye, Fabrice ne deviendra pas un haut dignitaire de l'Eglise et Lucien ne succédera pas à son père, banquier puissant -, mais les compromissions de la société n'auront pas de prise sur eux. Ils resteront intacts, libres de toute ambition subalterne.
Реферат опубликован: 11/04/2007